Une brève histoire de l’écriture braille

Par Roger Cosaney*
Il y a deux siècles naissait une révolution silencieuse : le braille. Conçu par un jeune Français devenu aveugle après un accident, ce système d’écriture en points saillants a ouvert les portes du savoir et de l’autonomie à des millions de personnes à travers le monde. À l’occasion du 200e anniversaire de cette invention géniale, retour sur l’histoire fascinante d’un alphabet qui a changé la vie des personnes en situation de handicap visuel.
On commémore cette année le 200e anniversaire de l’écriture braille. Cet alphabet, constitué de points saillants et qui se lit avec les bouts des doigts, permet aux personnes déficientes visuelles d’accéder à l’instruction et à la culture. Comment cette géniale invention a-t-elle vu le jour ?
Il faut relever que la création de la première école pour aveugles, en 1784, par Valentin Haüy, a enclenché un processus qui allait favoriser, 40 ans plus tard, l’émergence d’un moyen de communication vraiment efficace. Valentin Haüy imagine faire lire les aveugles au moyen de caractères d’imprimerie en relief. Mais la lecture s’avère difficile.
Né en 1809 à Coupvray, petit village à une quarantaine de kilomètres à l’est de Paris, Louis Braille perd la vue à la suite d’un accident survenu dans l’atelier de son père, artisan qui fabrique des objets en cuir et qui utilise évidemment des outils tranchants. Inscrit à l’école de son village à l’âge de 7 ans, le petit Louis se montre studieux et très intelligent. Ayant entendu parler de l’école pour les jeunes aveugles, le père du garçon l’y fait admettre en 1819.
Le développement, par un capitaine de l’armée française, Charles Barbier de La Serre, d’une écriture secrète constituée de points en relief, qui devait permettre aux militaires de communiquer pendant la nuit, n’est pas étrangèr à l’idée de Braille d’imaginer un procédé remplaçant les lignes par des points. Le système de Barbier, nommé sonographie, se base sur une cellule de 12 points représentant tous les sons de la langue française. Ils sont répartis sur 2 colonnes de 6 points. Persuadé que son système serait bénéfique pour les aveugles, Barbier de La Serre vient le présenter à l’Institut royal des jeunes aveugles en 1821. Très intéressé par cette invention, mais non convaincu par son utilité pratique, Louis Braille n’a de cesse de chercher à l’améliorer. Il comprend très vite que 12 points ne peuvent être déchiffrés sous la pulpe du doigt sans que ce dernier doive bouger. Par ailleurs, il n’est pas satisfaisant de ne pas pouvoir écrire en respectant l’orthographe. Braille réduit donc le nombre de points à 6, répartis en 2 colonnes horizontales de 3 points verticaux. En 1825, le jeune homme de 16 ans présente son alphabet à ses camarades et à la direction de son école. Le directeur de l’établissement, Pignier, se montre enthousiaste. Il encourage Braille à poursuivre ses recherches. En 1829, une première présentation officielle du procédé en points saillants est faite. Toutes les lettres utilisées dans la langue française y sont représentées, y compris les lettres accentuées. En 1837, une seconde présentation de l’alphabet est publiée. Cette version est définitive. L’alphabet braille est bien vite utilisé au sein de l’école de Paris. Malheureusement, en 1840, un nouveau directeur prend les rênes de l’institution, Dufau. Contrairement à son prédécesseur, il se montre hostile à l’invention de Braille, craignant que les aveugles se coupent du monde s’ils disposent d’une écriture différente de celle des voyants. Cependant, après des années d’expérimentation, les élèves ont raison du scepticisme de leur directeur, qui doit reconnaître la supériorité des points saillants. Plus aucun obstacle ne s’oppose désormais à la diffusion du braille. Partout dans le monde, le braille se répand. Des livres sont imprimés, d’abord en France, puis dans des pays étrangers. Il est intéressant d’observer que le premier livre imprimé hors de France le fut à Lausanne, en 1860. Il s’agit de l’Évangile de Saint-Jean. La proximité de la langue n’y est certainement pas étrangère.
L’alphabet proposé par Braille est conçu pour la langue française. Dans les pays germanophones et anglophones, on regrette vite l’absence de la lettre W. On comprend donc pourquoi cette lettre occupe une place si bizarre dans l’alphabet. Il faut attendre 1878 et une conférence sur l’éducation des aveugles pour que les réticences soient levées et que le nouvel alphabet soit nommé braille. Toutefois, les États-Unis n’acceptent définitivement l’alphabet braille qu’en 1932. Grâce aux efforts déployés en particulier par l’UNESCO, le braille est adapté à toutes les langues du monde, même à celles qui utilisent des caractères bien différents des nôtres. Ainsi dans tous les coins de la Terre, les aveugles peuvent lire et écrire, sortant alors de l’ignorance. Malheureusement, Louis Braille n’a pas pu connaître son succès, en effet, il meurt en 1852, emporté par une tuberculose qui l’affectait depuis sa jeunesse. Merci, Louis Braille, pour ce merveilleux cadeau !
*À propos de l’auteur
Né en 1944 au Locle, Roger Cosandey est une figure engagée dans la défense des droits des personnes en situation de handicap. Après une formation commerciale et un séjour linguistique en Angleterre, il a travaillé dans plusieurs villes avant de se consacrer à la formation professionnelle de jeunes aveugles. Des années 1980 jusqu’à sa retraite, il a exercé la fonction de secrétaire régional romand de la Fédération suisse des aveugles et malvoyants (fsa), tout en poursuivant encore aujourd’hui son engagement associatif, notamment au sein de la section vaudoise de la fsa. Il a également siégé pendant près de vingt ans au Conseil communal de Lausanne, sous les couleurs du Parti socialiste. Membre durant plusieurs années de la commission pour l’évolution du braille français, Roger Cosandey reste profondément attaché à cette écriture. Pour lui, le braille n’est pas seulement un outil, mais une clé d’accès à la culture et à l’autonomie. Il lui a permis non seulement d’étudier des langues étrangères, mais aussi de participer activement à la vie démocratique. Le braille, pour lui, est synonyme d’émancipation intellectuelle, sociale et politique.
À découvrir
L’Union centrale suisse pour le bien des aveugles (UCBA) consacre une brochure à Louis Braille, l’inventeur du système d’écriture tactile qui a transformé l’accès à la lecture pour les personnes aveugles : Louis Braille, inventeur de l’alphabet pour les personnes aveugles. Vie et œuvre.
Disponible sous : www.ucba.ch/infotheque