Les moyens auxiliaires facilitent la vie aux personnes en situation de handicap visuel. Pourtant, les objets devraient être conçus de manière à pouvoir être utilisés par toutes et tous sans moyens auxiliaires additionnels. Les produits iOS d’Apple sont un exemple réussi de conception universelle.

par Michel Bossart, auteur externe, künzlerbachmann Verlag AG

Une main tient un iPhone. Ses différentes applications apparaissent à l’écran.
Le iPhone est un exemple réussi de conception universelle. Photo : Apfelschule

« La conception universelle est une composante majeure d’une société plus inclusive. L’on entend par conception universelle la conception de tout produit qui puisse être utilisé par toute personne sans adaptation », explique Fabian Winter, professeur à la Haute école intercantonale de pédagogie curative HfH de Zurich et responsable du domaine de spécialisation « vision ». Par produits, Fabian Winter ne désigne pas seulement des objets du quotidien, mais aussi des prestations et des offres numériques. Lorsque de tels produits sont accessibles au plus grand nombre, on parle de conception universelle, un terme initialement emprunté à l’architecture, et plus particulièrement à Ronald L. Mace (1941-1998), lui-même en situation de handicap physique de son vivant. Ronald L. Mace a identifié sept principes de conception universelle, parfois difficiles à dissocier clairement :

  1. Une utilisation égalitaire
  2. Une flexibilité d’utilisation
  3. Une utilisation simple et intuitive
  4. Une information perceptible
  5. La tolérance pour l’erreur
  6. Un effort physique minimal
  7. Des dimensions et un espace libre pour l’approche et l’utilisation

« Certes, il reste encore beaucoup à faire. Toutefois, ces principes sont en partie déjà appliqués dans bien des produits de la vie quotidienne », explique Fabian Winter. Il cite notamment certains bâtiments dont l’accès est facilité par l’évitement des seuils, l’aménagement de lignes de guidage ou de signalétiques en braille sur les portes, ou encore par un concept d’éclairage, de couleurs et de contrastes. Ces dispositions rendent les salles utilisables par un groupe de personnes plus large. De par leur conception, certains articles électroniques offrent une accessibilité plus souple, car ils peuvent également être pilotés par gestes ou par commandes vocales et disposent d’interfaces permettant de les utiliser avec un lecteur d’écran ou une ligne braille. « La conception universelle implique un changement de cap : un aménagement ciblé de l’environnement et des produits permet de diminuer les barrières, indique Fabian Winter. Une implémentation conséquente des principes de la conception universelle réduira le besoin de moyens auxiliaires spécifiques. Toutefois, partout où ce concept ne pourra être appliqué dans son intégralité, ce besoin subsistera. »

Le développement exige du temps

Stephan Mörker, directeur du service spécialisé des moyens auxiliaires à l’UCBA, en connaît un rayon sur le développement de moyens auxiliaires spécifiques. « Pour qu’un objet puisse être utilisé par une personne aveugle, il doit au moins faire appel à deux sens », précise-t-il. Développée en collaboration avec l’UCBA, la montre parlante et vibrante Acustica l’illustre bien, avec son cadran à grands chiffres contrastés, sa synthèse vocale dont le débit et le volume sont réglables ou son mode silence. La montre vibre par exemple à chaque heure pleine, toutes les dix minutes ou chaque minute. « Elle convient non seulement aux personnes aveugles, mais aussi aux personnes sourdaveugles », poursuit Stephan Mörker. Elle résulte d’une évaluation préliminaire approfondie en termes de besoins. Stephan Mörker complète : « Sur la base de sondages réalisés en Suisse et parfois à l’échelle mondiale, nous effectuons une analyse des besoins puis établissons un descriptif des tâches avant de développer un objet donné. Ensuite nous contactons les entreprises partenaires avec qui nous convenons des options indispensables et des options non essentielles. »
Il faut bien compter deux ans jusqu’à ce qu’un objet puisse être commercialisé. Actuellement, l’UCBA planche sur la mise au point d’un déambulateur pour les personnes en situation de handicap visuel. Plusieurs approches sont envisagées : des capteurs devraient-ils par exemple mettre en garde contre chaque obstacle ? « Cette stratégie présente des avantages et des inconvénients, explique Stephan Mörker. A chaque fois, il faut nettoyer le capteur et recharger la batterie ». Selon les cas, il vaut mieux recourir à une solution analogique, plus simple et plus pratique, conformément au principe suivant : plus un appareil est simple, plus grandes sont ses chances de succès. « Le problème est souvent que les développeurs se ‘portent trop bien’. Nos réflexions ne vont pas toujours assez loin. Comme nos sens intacts nous permettent d’improviser et de combiner, nous créons des produits beaucoup trop compliqués. Créer des appareils simples à utiliser s’avère extrêmement complexe. »

La conception universelle : une aubaine pour les entreprises

Fabian Winter ne peut qu’acquiescer : « Une utilisation simple et intuitive exige des développeurs une grande ingéniosité. Le principe est plus facilement transposable à des appareils n’ayant qu’une fonction qu’à des ordinateurs, des smartphones ou autres tablettes, généralement multifonctionnels. Pourtant, là aussi, des améliorations sont possibles. « Apple a compris très tôt que le design universel lui permettrait d’atteindre une clientèle bien plus large et d’accroître ses bénéfices », explique Fabian Winter.
Les clientes et clientes d’Apple apprécient la facilité d’utilisation de ces appareils et leur haute tolérance pour l’erreur qui leur permet de procéder à toutes sortes d’expériences ludiques sans devoir recourir à un mode d’emploi. Dans le cas des personnes en situation de handicap visuel, les options de présentation et d’utilisation peuvent être adaptées individuellement à leurs préférences. Les assistants virtuels tels que les fonctions Zoom ou le lecteur d’écran VoiceOver font partie intégrante des produits d’Apple et sont déjà préinstallés au premier démarrage. Fabian Winter d’ajouter : « Cet exemple montre combien lors de la mise en œuvre de la conception universelle, les frontières entre moyens auxiliaires et produits mainstream sont floues. » Il pense qu’Apple doit la large diffusion de ses produits auprès des personnes en situation de handicap visuel à son respect systématique des principes de la conception universelle. Le progrès résulte de la prise en compte constante de toutes et tous les utilisateurs dès le design des produits et de la souplesse de leur accessibilité. « Cela n’a pas toujours été le cas et c’est hélas encore loin d’être courant partout. Le problème provient du fait que les concepteurs d’un produit prennent souvent intuitivement pour référence l’utilisateur standard et que, partant, les personnes en situation de déficience rencontrent rapidement des barrières susceptibles de les conduire à l’exclusion », avertit Fabian Winter. Aussi considère-t-il que la marge de manœuvre en matière de conception universelle est énorme.

La formation à la traîne

Saluons le fait que de nos jours, nombre d’appareils ménagers sont plus faciles à utiliser et offrent une meilleure accessibilité, notamment grâce à des commandes vocales. « Il y a quelques années encore, ce n’était absolument pas le cas », constate-t-il, agacé que dans certains domaines, notamment celui de la formation en général ainsi que des livres scolaires et du matériel didactique en particulier, la conception universelle ne soit pas encore aussi avancée. « Nombre d’institutions actives dans la formation continue investissent énormément de temps et d’argent pour transposer du matériel didactique en un format sans barrières accessible aux apprenantes et apprenants malvoyants ou aveugles. Or, en respectant les principes de la conception universelle, les livres scolaires pourraient être conçus d’emblée pour être accessibles à tous ! » Une conception universelle bien pensée suppose également la réalisation de documents numériques sans barrières pour tous grâce à un ordre de lecture prédéfini, des textes alternatifs et l’indication des éléments d’ornement dans les documents. « Ce serait précisément aux éditions de livres scolaires de s’atteler à cette tâche et d’assumer ainsi leurs responsabilités », déclare Fabian Winter, qui souhaite qu’à l’avenir des progrès soient réalisés et que la conception universelle se répande plus largement.

Analogique ou numérique ?

Avec un grand sourire, Stephan Mörker, directeur du service spécialisé des moyens auxiliaires concède : « Si la conception universelle était réalisée de façon omniprésente, je n’aurais plus qu’à rendre mon tablier. » Certes, il corrobore les propos de Fabian Winter selon lesquels les produits conçus par Apple offrent bien des avantages aux personnes en situation de handicap visuel, mais il trouve ces produits plutôt compliqués du fait de leur super multifonctionnalité. Il ajoute : « Dans vingt ans, les aînés auront déjà été familiarisés avec les applis et internet depuis leur tendre enfance. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas. Beaucoup de séniors m’expliquent vouloir connaître l’heure, et non faire encore des milliers d’autres choses. » Certes, la tendance va inexorablement vers la numérisation, mais beaucoup de personnes en situation de déficience visuelle, particulièrement les séniors, lui préfèrent des produits analogiques.
« Malgré la conception universelle, je ne me fais pas de souci pour le poste de Stephan Mörker », renchérit Fabian Winter. « Le design des produits manque précisément d’expertise dans le handicap. Lorsque la conception universelle s’imposera, le service spécialisé des moyens auxiliaires aura du pain sur la planche. »
Les objets conçus selon ces principes simplifient la vie de bien des personnes en situation de déficience. Toutefois, le concept n’est appliqué jusqu’ici que partiellement. Aussi est-il impératif que la typhlophilie sensibilise les concepteurs à intégrer très tôt les besoins des personnes en situation de handicap dans le développement de leurs produits. Quoi qu’il en soit, les moyens auxiliaires – analogiques ou numériques – ont encore de beaux jours devant eux.