Cours d’autodéfense pour les femmes aveugles au Népal

Sarita Lamichhane est une femme sûre de soi. Aveugle de naissance, elle s’est toujours fixée d’ambitieux objectifs. Après l’école, elle a voulu faire des études afin de vivre de ses propres moyens. Son parcours a été semé d’embûches, car au Népal, les femmes avec un handicap sont considérées comme des citoyennes de deuxième classe. Convaincue qu’il doit en être autrement, Sarita, 27 ans, s’engage corps et âme pour les femmes aveugles et malvoyantes de son pays. En décembre 2017, invitée par la « Christoffel Blindenmission » (CBM), elle est venue en Suisse afin de montrer aux ONG et aux autorités suisses comment fonctionne la collaboration inclusive au niveau du handicap.

Par Nina Hug

 Sarita Lamichhane se promène en Suisse avec sa canne blanche à côté de lignes de guidage. Ces dernières n'existent pas au Népal. Au Népal, le handicap s’apparente souvent à une malédiction. Une personne ayant des troubles de la vue ou de la marche porte en elle des stigmates qui en font un citoyen de deuxième classe. C’est d’autant plus le cas des femmes. Ayant déjà un rôle subalterne dans la société patriarcale, elles sont, avec un handicap, frappées d’exclusion, privées de la possibilité de mener une vie indépendante, explique Sarita.

Personnellement, elle a eu la chance d’avoir une famille qui l’a soutenue : « Mes parents vivaient à la campagne. A ma naissance – j’étais leur premier enfant – ils ont bien vite constaté que mes yeux ne fonctionnaient pas correctement. Ils n’ont pu m’emmener voir un médecin que lorsque j’ai eu deux ans », raconte-t-elle. Le médecin leur a redonné espoir, leur disant que si leur fille mangeait beaucoup de blancs d’œufs, elle finirait peut-être par voir. « Durant mon enfance, j’ai donc mangé des œufs en quantités, mais cela ne m’a pas fait recouvrer la vue pour autant », confie Sarita en riant.

L’âge de la scolarité venue, son père a cherché une école adaptée aux besoins de sa fille. A huit heures de marche du village, il a trouvé un internat avec une classe de braille. « A tour de rôle, mes parents et mes grands-parents m’amenaient à l’école et me recherchaient chaque semaine. Ils m’y ont porté sur leur dos jusqu’à l’âge de 9 ans. » Cependant, les camarades de la classe de braille étaient tous plus grands qu’elle, certains ayant déjà 12, voire 14 ans. Comme elle n’était pas heureuse, ses parents se sont mobilisés pour que, dès qu’elle fut en mesure de lire et d’écrire le braille, Sarita puisse être intégrée dans une classe ordinaire. « Lorsque, durant ma scolarité, puis ultérieurement mes études, les livres n’étaient pas disponibles en braille, mon père me les lisait à haute voix, ou les enregistrait sur cassettes pour que je puisse les écouter », précise Sarita, qui, sans ce formidable soutien, n’aurait pu mener à bien sa formation scolaire.

Les livres audio et autres ordinateurs avec logiciels de lecture d’écran sont fort rares au Népal. Toutefois, le matériel didactique ne constitue de loin pas le seul obstacle. A peine est-on parvenu à tout organiser soi-même que survient la difficulté suivante, les examens. Sarita fait alors part de son immense déception : « Pendant mes études, j’avais pu recourir à une « copiste », à qui j’ai aussi dicté mes textes durant les examens. Mon professeur m’a ensuite reproché le fait que les pages que je lui avais rendues ne contenaient pas mes réponses, mais celles de ma copiste. Je me suis défendue. En effet, bien plus jeune que moi, elle ne pouvait avoir mes connaissances. Pourtant, je n’obtins qu’un « Secundary Grade ».

Ses études en sciences humaines terminées, Sarita a rédigé de nombreuses offres d’emploi, essuyant toujours des refus « juste parce que je suis aveugle ». Pourtant, pas question pour elle de renoncer. Sarita s’est alors mobilisée auprès des ONG pour son propre projet : organiser des cours d’autodéfense pour les femmes aveugles et malvoyantes.

En tant que femme aveugle se déplaçant en toute autonomie en train et en bus, elle a fréquemment subi des harcèlements sexuels. « Bien des hommes abusent sans aucune honte de la situation dans laquelle se trouvent ces femmes : sous prétexte d’aider, ils se livrent à des attouchements. Quand je leur demandais pourquoi ils agissaient ainsi, ils se bornaient à me répondre : De toute façon, tu ne me vois pas », témoigne Sarita. C’est ainsi qu’elle a commencé à s’intéresser à l’autodéfense pour pouvoir assurer sa propre sécurité, développant en même temps des cours d’autodéfense pour les femmes aveugles et malvoyantes.

Elle a ensuite présenté son projet à kanthari.org, une organisation indienne dispensant des cours de gestion aux personnes handicapées investies d’une mission, d’une vocation sociale. Son projet fut accepté. Simultanément, elle obtint enfin une réponse positive à ses postulations. Ainsi, elle aurait pu décrocher un emploi fixe auprès d’une entreprise étatique, avec à la clé, un revenu garanti et de bonnes prestations sociales. Déchirée entre ces deux options, elle a choisi de suivre la voix de son cœur et se rendit en Inde.

Aujourd’hui, Sarita travaille auprès d’une ONG, la « Nepal Disabled Women Association » (NDWA), partenaire de la « Christoffel Blindenmission » et s’engage pour que les femmes avec un handicap puissent mener une vie autonome. Elle montre aux femmes aveugles comment faire elles-mêmes la cuisine, comment se déplacer en toute indépendance avec une canne blanche et comment bien s’habiller. Elle organise des cours permettant aux femmes handicapées de se familiariser avec un ordinateur ou d’opter pour une activité indépendante grâce à un microcrédit. De plus, elle les emmène à des cours d’autodéfense où elles apprennent à riposter, d’abord verbalement puis physiquement, si nécessaire. « Mon objectif : que les femmes aveugles puissent assumer en toute autonomie les tâches quotidiennes, qu’elles soient compétitives sur le grand marché de l’emploi et qu’elles puissent se déplacer en toute confiance dans les rues de Katmandou et se défendre au besoin. Telle est ma vision, à laquelle je consacre ma vie ». C’est par cette simple phrase, qui en dit long, que Sarita résume ce qui l’anime.

En Suisse, elle a pu se constituer un réseau avec de nombreuses organisations et récolter bien des idées qu’elle souhaiterait réaliser au Népal. Le naturel avec lequel les gens se comportent ici avec les personnes handicapées l’a particulièrement impressionnée. Elle souhaiterait tant emporter dans ses bagages un zeste de cet état d’esprit ! Et Sarita d’ajouter : « Nous ne sommes pas des personnes totalement désarmées, mais des êtres confrontés à des désavantages. En conséquence, nous devons ouvrir d’autres portes que les personnes plus avantagées. »

Lien pour en savoir plus sur le travail de la « Nepal Disabled Women Association », NDWA : www.ndwa.org.np

Lien de la « Christoffel Blindenmission », CBM : www.cbmswiss.ch