Une success story de presque 50 ans

Le groupement romand de skieurs aveugles et malvoyants (www.GRSA.ch) est une association qui ne ressemble à aucune autre. Il ne s’agit plus de « faire skier » des aveugles ou des malvoyants en ski de fond ou en alpin mais, au grand air, de partager en inclusion les plaisirs de la glisse avec des guides formé(e)s spécialement. C’est là toute la nuance!

Par Hervé Richoz, skieur malvoyant et membre du GRSA

La photo montre des skieurs sur un télésiège. Tignes, mars 2015, l’américaine Lilian Pfulke guide un des membres du groupe de Parisiens qui profitent de leurs vacances de neige dans les Hautes-Alpes. Soudain, elle voit passer un tandem de vestes jaune et rouge qui dévale la piste dans une évolution harmonieuse. Impressionnée, elle décide de « pister ce duo » pour comprendre la recette de cette alchimie. Elle découvre ainsi qu’en Suisse existe le GRSA et que deux de ses membres étaient en sortie privée à Tignes. Aussitôt dit, aussitôt fait, elle vient se former deux jours au GRSA en saison 2015/2016. Lilian mesure alors tout le sérieux et le professionalisme de cet enseignement qui assure au tandem la sécurité et les décisions stratégiques qui sont l’essence même d’une journée de partage et de plaisir.Si l’anecdote est enjolivée, il y a là l’ingrédient magique de la formule GRSA qui aura 50 ans en 2019.

Une formation reconnue UCBA

Retour à janvier 2018 où 11 nouveaux aspirants viennent de clôturer leurs six jours de formation technique sous les yeux attendris de Nathalie Perrenoud et de Béatrice Hirt, co-responsables de la formation, et des huits tandems formateurs ravis qui peuvent compter à l’avenir sur de nouveaux yeux. Tous ont déroulé le concept de formation qui décline avec précision des processus d’apprentissage évolutifs. Si les consignes sont à priori « simplissimes », à l’instar des « gauche », « droite », « en avant », « encore », « halte », c’est bien leur modulation, leur association, leur temporisation qui va donner au tandem le rythme adéquat et assez souvent son élégance. Nos aspirant(e)s, qui se remettent des émotions vécues à la formation n’en sont pas encore tout à fait là, mais s’apprêtent à pratiquer pour douze jours supplémentaires sur deux ans en rejoignant les week-ends et les camps du GRSA. Parce que le GRSA, c’est aussi une grosse logistique pour tous les âges et tous les niveaux de ski, pour des jeunes de l’organisation jeunesse (OJ) comme pour des situations de multihandicap.

Demain avec les jeunes d’aujourd’hui

Les Crosets, janvier 2018, Nathalie Baumgartner et Baptiste Grillon, co-responsables du groupement OJ accueillent Martine* (*nom d’emprunt), malvoyante qui, à 10 ans, va s’extraire du cocon familial et retrouver des copines pour pratiquer le ski qui lui tient tant à coeur. D’ailleurs, ses parents ne pratiquant pas le ski, elle n’aura pas d’autres possibilités. Rassurée, elle connaît certains de ses guides puisqu’ils œuvrent pour son école. Pour les anciens OJ, au fil des années, le GRSA est ce lieu unique de rencontre et d’échange autour d’une passion commune, le ski. C’est aussi une école de la vie, tant la diversité, les provenances et les univers des participants sont pluriels, ce qui confrontent nos jeunes et ados à d’autres réalités et d’autres manières de penser. Les grandes discussions et les soirées à thème permettent bien souvent de panser les écorchures du handicap ou de l’adolescence. Pas étonnant que devenus adultes, certains ont à coeur à participer à ces week-end OJ à l’ambiance chalet. Et cela vaut pour tous, même si à la vue manquante se rajoute une pathologie mentale.

Rendre l’impossible possible

Avec les années, le GRSA a repoussé les frontières du possible et a développé un savoir-faire pour inclure le multihandicap. Si le guide a pour mission de guider la personne en ski, le médiateur va s’occuper de tout ce qui concerne l’accompagnement en dehors du ski, comme les repas, la socialisation et les actes de la vie journalière. Très peu de sports sont accessibles aux multi-handicapés et le ski leur permet de garder un équilibre physique et psychique. Le GRSA est en recherche permanente de « médiateurs » qui skient pour leur plaisir en journée et prennent le relais social les moments venus. Et rendre l’impossible possible date de près de cinquante ans.

50 ans en 2019

Les septuagénaires Michel André, Marianne Castella et Michel Bart qui skient aujourd’hui encore en alpin et en fond furent les premiers membres du GRSA fondé en 1969. Ils témoignent de ce pari fou que Roger Alleman, devenu aveugle à la suite d’un accident, a lancé en 1966 en forme de défi à un instructeur de ski Pierre Rayroud: le faire skier pour guérir sa nostalgie de la neige et de la montagne. A Cergnat au dessus du Seppey, les pistes d’antan n’ont rien de comparable avec les boulevards à carving d’aujourd’hui. Ces essais laborieux dès 1966 ont rapidement suscité l’intrigue et l’envie auprès des premiers membres à qui il fallut d’abord trouver des guides et apprendre à skier. Et aujourd’hui encore des moniteurs de ski permettent à qui le souhaite de perfectionner la technique ou le choix du matériel. La maîtrise du ski est un gage de sécurité sur des domaines fortements fréquentés où les autres usagers ne maîtrisent pas toujours leurs trajectoires ni leur matériel performant. Et les guides formés par le GRSA apprennent à s’inscrire en toute sécurité dans ce trafic parfois dense en fin de semaine.

Des rouges et des jaunes

Tout en assurant la sécurité, les guides alpins (veste rouge) suivent le skieur aveugle (veste jaune) en l’informant alors qu’il précèdent le malvoyant (veste jaune) marquant plutôt une position et une orientation. En ski de fond, le « rouge » se tient parfois à côté de son « jaune ». Le niveau de ski étant souvent élevé en ski alpin, les radios contribuent à la sécurité et à l’harmonie du tandem. Car le plaisir se voit. Si les « jaunes » ne peuvent skier que quelques jours de l’hiver, les « rouges » ont véritablement à coeur de faire en sorte que chaque journée soit la plus harmonieuse et réussie possible…