Retour sur le vainqueur du Prix de la Canne Blanche et perspectives d’avenir

Plus d’une année s’est écoulée depuis que l’Union centrale suisse pour le bien des aveugles UCBA a décerné à Regards Neufs le Prix de la Canne Blanche 2014 pour son projet d’expérience de cinéma pour les personnes aveugles et malvoyantes. L’occasion de faire le point aujourd’hui sur l’évolution de l’audiodescription en Suisse.

Par Carol Lagrange

Une salle de cinéma comble. Les spectateurs visionnent le court-métrage avec l’audiodescription. Photo: Antonio Marmolejo

Une salle de cinéma comble. Les spectateurs visionnent le court-métrage avec l’audiodescription. Photo: Antonio Marmolejo

Depuis que Bruno Quiblier, directeur de Regards Neufs, a reçu le Prix de la Canne Blanche en 2014, sa source de créativité ne s’est pas tarie. Bien au contraire… Cet homme de projets poursuit un objectif clair : développer l’accessibilité au cinéma en Suisse pour les personnes handicapées de la vue. Pour mener à bien cet objectif, il s’engage au quotidien à faire connaître l’audiodescription. Sa tâche devrait peut-être devenir plus aisée dès juillet 2016. En effet, l’Office fédéral de la Culture imposera, dès cette date, l’audiodescription à tous les producteurs de longs métrages suisses soutenus financièrement par la Confédération.

Nouvelle ordonnance dans la promotion du film
Par l’entrée en vigueur de cette règle sur l’audiodescription, l’Office fédéral de la Culture souhaite, d’une part, combler les lacunes existantes en matière d’accessibilité au cinéma en Suisse et d’autre part tenir compte des usages internationaux en matière de production de films. Pourquoi est-on confronté à un tel retard dans ce domaine en Suisse ? Ivo Kummer, directeur de la section cinéma de l’OFC, nous explique que jusqu’à présent, l’audiodescription a toujours été facultative et souvent réalisée seulement pour des coproductions internationales. En effet, le marché du film suisse est restreint et reste fortement segmenté à cause des trois régions linguistiques qui composent le pays. Presque rien n’a été entrepris dans le domaine au niveau fédéral et la Suisse doit donc rattraper son retard par rapport à l’étranger.

Concrètement, avec cette nouvelle règle, il s’agira pour les producteurs d’inclure dans le budget de leurs films les coûts de production d’une audiodescription dans au moins une langue nationale et de la faire réaliser, de préférence par des sociétés suisses. Ensuite, ils devront l’archiver à la cinémathèque suisse comme preuve de sa bonne réalisation, ce qui leur permettra de bénéficier de la dernière tranche de subvention de l’OFC pour le film concerné. Ces coûts supplémentaires ne feront pas l’objet d’un budget séparé. En revanche, les budgets de chaque film seront revus à la hausse pour y inclure ces frais, financés comme le reste par la Confédération, mais aussi par la Société suisse de radiodiffusion et télévision, la „Zürcher Filmsitftung“ ou encore Cinéforom en Suisse romande.

Sensibilisons les plus jeunes

Le travail d’audiodescription des élèves a été projeté sur un écran de cinéma lors des Rencontres Regards Neufs 2015.

Le travail d’audiodescription des élèves a été projeté sur un écran de cinéma lors des Rencontres Regards Neufs 2015.

La décision de l’OFC de rendre l’audiodescription obligatoire devrait certes permettre de faire connaître et reconnaître l’audiodescription de manière plus large. Néanmoins, ce n’est pas pour autant que Bruno Quiblier ne cesse en parallèle de la promouvoir par ses propres moyens. Et pour cela, rien de tel que de sensibiliser les plus jeunes à cette discipline. Ainsi, durant l’année scolaire 2014-2015, Regards Neufs a initié la création d’un atelier pédagogique d’audiodescription dans une classe du collège de Pully. Les enfants âgés de 8-9 ans ont travaillé sur l’audiodescription d’un court métrage, La main de l’ours de Marina Rosset, avec l’aide de Marie Diagne, audiodescriptrice professionnelle, qui s’est rendue à raison de 8 demi-journées dans la classe d’Emmanuelle Meylan.

« L’audiodescription consiste à transmettre le projet de cinéma d’un réalisateur », explique Marie Diagne. « L’auteur de la version audiodécrite d’un film doit être animé par des questions comme : qu’est-ce que ce film provoque comme émotions chez moi ? qu’y a-t-il dans les choix de mises en scène et les partis pris esthétiques du réalisateur qui provoquent ces émotions ? Et enfin, pour se mettre au travail de l’écriture, qu’y a-t-il à l’image que la bande son seule ne permet pas de percevoir – et donc qu’il va falloir décrire ? ».
Les enfants qui ont participé à l’atelier de Marie Diagne ont donc dû apprendre à veiller à des impératifs précis pour réaliser leur audiodescription, tels le choix des mots, la diction et l’interprétation. Il s’agit d’un travail de recherche, d’écriture et de précision.

Comment s’est concrètement déroulé le travail d’écriture et d’interprétation pour ces élèves ? « On essayait les mots choisis sur le film et si c’était trop long, on enlevait ou modifiait les mots en s’aidant des dictionnaires de langue et de synonymes. Pour interpréter le texte, on apprenait la phrase, puis on énonçait le texte au bon moment devant un écran », raconte un élève.

Les enfants expliquent au micro leur travail.

Les enfants expliquent au micro leur travail.

De son côté, l’enseignante Emmanuelle Meylan a atteint les objectifs fixés : « Cet atelier m’a permis de développer chez mes élèves des compétences transversales demandées par le programme scolaire, comme la production écrite, l’écoute, la manipulation de l’ordinateur, le savoir écrire et le savoir dire, la collaboration avec les camarades. Des liens avec des élèves du Centre pédagogique pour handicapés de la vue (CPHV) ont également été créés grâce à ce projet. Il était important pour moi que les élèves fassent connaissance avec les destinataires finaux de ce travail, qu’ils échangent avec eux et développent ainsi une attitude citoyenne. » Emmanuelle Meylan a d’ailleurs prévu d’organiser cette année une nouvelle rencontre avec les enfants du CPHV afin de leur faire écouter l’audiodescription réalisée par ses élèves.

Le 5 septembre dernier, les enfants de cette classe de Pully ont pu présenter leur travail à l’occasion des rencontres Regards Neufs 2015. Dans une salle de cinéma de Lausanne, un extrait du court métrage sans images a d’abord été passé, puis les voix de l’audiodescription ont été rajoutées et enfin le court métrage complet avec images et audiodescription a été diffusé. Ainsi, le public a pu aussi se rendre compte du travail considérable fourni par les élèves de cette classe, mais surtout aussi de l’importance capitale de l’audiodescription pour les personnes aveugles et malvoyantes.

Bilan de ce projet : un succès pour tout le monde ! L’expérience est d’ailleurs renouvelée cette année dans une classe de Lausanne.

Accéder à l’audiodescription via les nouvelles technologies
Toujours dans la même perspective de rendre le cinéma de plus en plus accessible, Regards Neufs s’est penché en parallèle sur la thématique des nouvelles technologies. Pour le moment, l’audiodescription proposée par l’association est disponible dans les cinémas Pathé de Lausanne et Genève via un boîtier radio et un casque mis gratuitement à la disposition des personnes handicapées de la vue. Mais le développement constant des nouvelles technologies amène d’autres idées. En Allemagne, la société Greta & Starks a d’ailleurs développé une application qui permet d’entendre l’audiodescription via un smartphone. L’application reconnaît le début du film et synchronise directement l’audiodescription avec ce dernier. Plus besoin de boîtier et de casque, un smartphone et des écouteurs suffisent ! Regards Neufs est actuellement en pourparlers avec Greta & Starks pour pouvoir utiliser leur application de manière exclusive à toutes les séances audio-décrites programmées et dans tous les cinémas de Suisse. Un accord qui devrait voir le jour en septembre 2016 et permettre ainsi à l’audiodescription d’être totalement sous le feu des projecteurs l’année prochaine !

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L’audiodescription au théâtre, est-ce différent ?
De plus en plus de représentations théâtrales commencent à être audiodécrites. Il est ici intéressant de se demander si les mêmes critères doivent être pris en compte pour réaliser une audiodescription d’une pièce ou d’un film. Selon Marie Diagne, il y a certaines différences : ​ »Un film est une oeuvre d’images et de sons, dont l’organisation est immuable, alors qu‘une pièce de théâtre créée sur scène rejoue, elle, les respirations entre les interventions des personnages à chacune de ses représentations.​ Au cinéma, ​le montage, les éléments que l’on peut mettre dans l’image ou bien en dehors de l’image, sans que cela soit forcément perceptible sur la bande son, le choix des cadres ou les mouvements de caméra, complexifie le travail de l’audiodescripteur. Au théâtre, beaucoup d’éléments sont perceptibles simplement à l’écoute par le spectateur déficient visuel, puisque l’espace de la scène est en communication directe avec l’espace du public. Les expressions des comédiens sont également souvent aisées à percevoir dans la tension ou la joie d’un dialogue ou d’un monologue, et les déplacements sur la scène de même. Mais comme au cinéma, l’audiodescripteur doit toujours veiller à transmettre le projet de théâtre du metteur en scène. »