Les personnes en situation de déficience visuelle peuvent apprendre des stratégies leur permettant de bien gérer leur quotidien. Les méthodes de leur apprentissage sont au cœur de nombreuses discussions parmi les spécialistes. En effet, notre manière d’apprendre, partie intrinsèque de tout processus d’apprentissage, est déterminante durant l’enfance.

Par Pamela Cory, instructrice en réadaptation (AVJ), chargée de cours à l’université de Hambourg et à la haute école de pédagogie de Heidelberg, et Conny Sill-Hansen, instructrice en réadaptation (O&M et AVJ), IRIS e.V., Hambourg

Pour comprendre pourquoi « notre manière d’apprendre est partie intrinsèque de tout processus d’apprentissage », il faut connaître : la façon des enfants voyants toute naturelle d’appréhender les actions de base de la motricité et l’importance de l’apprentissage au stade de la petite enfance pour leur développement personnel et pour la structuration de l’apprentissage tout au long de la vie.

Comment les enfants apprennent-ils les gestes clés de la motricité ?

C’est la perception visuelle qui stimule et commande, chez les enfants en bas âge, l’acquisition des gestes élémentaires de la motricité. La vue aide l’enfant à faire la découverte de soi et de son environnement. En observant les autres, il apprend pour ainsi dire « en passant » les gestes quotidiens et la manière de les exécuter. La vision l’incite à se mouvoir. Cette manière active d’évoluer dans son environnement est essentielle pour le développement de sa motricité et de sa capacité de conceptualisation. Lorsqu’ils vont bien, les enfants en bas âge sont avides de découverte.

Les années de la naissance à la tendre enfance sont essentielles pour l’apprentissage de l’enfant. Elles offrent un terrain pour vaincre les difficultés et mettre au point des stratégies qui lui permettent de résoudre par lui-même les problèmes de tous les jours. Sa manière d’acquérir des gestes moteurs pour aller explorer son environnement est déterminante pour le développement de sa personnalité. L’enfant prend-il lui-même l’initiative de partir à la conquête du vaste monde ou attend-il l’autorisation d’un adulte ? Est-il sans cesse freiné dans son élan par les interventions et les directives continuelles de ce dernier ?

Ce processus d’apprentissage aura ensuite pour l’enfant des répercussions sur toute sa vie. Au contraire, s’il planifie seul ses actions, se mesure à son propre corps et aux objets à sa portée, il acquerra des compétences, gage de confiance en soi. Toutes les initiatives et actions qui émanent de sa propre volonté sont le fondement de l’image qu’il a de lui-même et, partant, de sa propre identité (cf. Cory p. 16).

Aussi, la personne de référence doit-elle accompagner activement ce processus tout en faisant preuve d’une discrétion et d’une attention vigilantes (cf. Cory, p. 18). Plutôt que de diriger le processus d’apprentissage, elle observe l’enfant, à l’affût de ses suggestions, pour créer un terrain de jeu favorable à son développement (cf. Cory p. 21). Il est indispensable de connaître en détail les niveaux et les échelles de développement (cf. Toni Linder, « Transdisciplinary Play-Based Assessment ») pour pouvoir évaluer précisément les ressources de l’enfant et lui proposer d’autres situations d’apprentissage ludiques, en fonction de ses intérêts et de son niveau de capacité.

L’apprentissage chez les enfants présentant une déficience visuelle

Un enfant en situation de déficience visuelle n’a pas « automatiquement » accès au monde des voyants. De ce fait, des instructions ciblées ne sont-elles pas nécessaires pour lui permettre d’apprendre des séquences de mouvements utiles ou des informations sur son environnement direct ? Du coup, ne devient-il pas inévitablement passif et démuni ? Dans ce cas, qu’adviendra-t-il de la planification autonome de ses actions ? « L’enfant parviendra-t-il à développer ces compétences qui lui donnent confiance ou se considèrera-t-il comme un être toujours dans l’expectative, jamais impliqué ? » (cf. Cory p. 36)

Or, qu’en est-il lorsque la personne de référence considère son petit protégé malvoyant avec un regard tout autre ? Au lieu de centrer son point de vue sur l’absence de perception visuelle, pourquoi ne pas le cristalliser sur la perception « différente » de l’enfant afin de mieux parvenir à identifier le potentiel de ses autres sens ? En lui accordant le temps et la patience nécessaires, ainsi que la confiance dans sa faculté d’apprendre, en créant une atmosphère où l’erreur est permise, et ce, de surcroît, en tenant compte des intérêts de l’enfant et de ses ressources, sa personne de référence peut instaurer une situation d’apprentissage passionnante guidée par la curiosité, qui invite l’enfant à la découverte ludique de la motricité. Une fois ces conditions réunies, il est en mesure d’apprivoiser son environnement et de relever, de sa propre initiative, les défis dès qu’ils se présentent.

Théorie de l’intégration sensorielle

Le degré de qualité de l’intégration sensorielle obtenu à un niveau de développement donné constitue la condition sine qua non pour évoluer vers des comportements toujours plus complexes. Lors de chaque séquence d’apprentissage ludique proposée, la capacité de l’enfant à planifier ses actions et la qualité de sa motricité doivent être prises en compte. Soulignons ici l’importance de la qualité de la réception des stimuli, du toucher nuancé, de la sensibilité profonde de la peau et de l’équilibre. Tous ces sens sont essentiels pour l’épanouissement de la perception du corps et de l’espace comme pour le développement sensorimoteur.

En situation d’apprentissage, l’enfant se voit proposer des matériaux et des défis propres à stimuler et à stabiliser ses compétences sensorimotrices. Ces matériaux et activités doivent lui permettre d’adapter et de maîtriser ses mouvements. En fonction de ses possibilités, il doit pouvoir agir en toute autonomie et résoudre seul les problèmes en se servant de tout son corps. La situation d’apprentissage doit être conçue de sorte que l’enfant la trouve savoureuse et enrichissante « dans tous les sens ». (cf. Cory, p. 41)

Exemple

Tom, 10 ans, travaille avec les bras très près du haut du corps, ce qui entrave sa liberté de mouvement, mais lui donne un sentiment de sécurité (sensibilité profonde/perception de la pression).

Dans ce cas, il s’agit de consolider sa confiance et de lui proposer des situations d’enseignement motivantes afin qu’il puisse se détacher peu à peu du schéma des mouvements habituels pour vivre activement d’autres sensations motrices.

L’enseignement a alterné activités faisant appel tantôt à sa motricité globale, tantôt à sa motricité fine. La professionnelle a souvent joué avec Tom à deux jeux qui l’ont amené -sans invitation explicite – à détacher davantage ses bras du haut du corps :

se mettre à quatre pattes et porter des objets de grandeur et de poids différents sur le dos;

Attraper, assis à une table large, des objets roulés par l’autre joueur depuis l’autre côté de la table. Ils produisent un bruit différent selon leur grandeur et la vitesse à laquelle ils roulent. Ils sont récupérés par l’adversaire dans une bassine, en face, au bord de la table.

Par des jeux de rôles ou des animations interactives dont l’objectif consistait bien plus à s’amuser qu’à perdre ou à gagner, la professionnelle pouvait se mettre au niveau de Tom et lui suggérer des jeux passionnants à sa portée. En endossant différents rôles, Tom devint plus friand de découverte. On lui a suggéré de faire différentes activités en chantant. La musique, qui le stimulait, semblait avoir sur lui un effet libérateur. Il devint plus actif, sans crainte de s’aventurer dans des situations nouvelles.

Cet exemple montre bien à quel point ce n’est pas le but qui compte, c’est le chemin : en proposant à son jeune interlocuteur des méthodes d’apprentissage qui lui conviennent et mettent en exergue son initiative personnelle, on l’aide bien davantage, qu’il soit en situation de déficience visuelle ou non d’ailleurs, à mieux s’en sortir plus tard dans la vie.

Cory, P. (2020) : «Mit Sehbeeinträchtigung im Alltag klarkommen, Förderung lebenspraktischer Fähigkeiten». Ernst Reinhardt Verlag, Munich (en allemand seulement)

Linder, T. u.a. (2008) : «Transdisciplinary Play-Based Assessment» (l’évaluation transdisciplinaire basée sur le jeu). (2e éd.) Paul H. Brookes Publishing Co., Baltimore, Maryland.