L’initiative pour l’inclusion

tactuel s’est entretenu avec Matthias Kuert sur le contenu et l’objectif de l’initiative pour l’inclusion. Il dirige le département Communication et Politique d’Inclusion Handicap, faîtière qu’il représente au sein du comité de l’association de soutien à l’initiative.

Un groupe de personnes handicapées brandit des panneaux ronds. Sur les panneaux, on voit un I avec un point d'exclamation.
Au nom de 1,8 million de personnes en situation de handicap, faire un geste pour davantage d’inclusion. / Photo: Initiative pour l’inclusion

L’initiative pour l’inclusion a pour but d’abroger l’article 8.4 de la Constitution fédérale dont la teneur actuelle est la suivante : « La loi prévoit des mesures en vue d’éliminer les inégalités qui frappent les personnes handicapées. ». Les initiants souhaitent le remplacer par la phrase suivante : « La loi garantit en droit et dans les faits l’égalité des personnes avec et sans handicap dans tous les domaines de la vie. Les personnes en situation de handicap ont droit, dans le cadre de la proportionnalité, aux mesures de soutien et d’adaptation nécessaires à cet effet, notamment à une assistance personnelle et technique. » et : « Les personnes en situation de handicap ont le droit de choisir librement leur mode et leur lieu de résidence et, dans le cadre de la proportionnalité, de disposer des mesures de soutien et d’adaptation nécessaires à cet effet. »

Le 20 janvier, lors d’une assemblée générale extraordinaire commune, Matthias Kuert, Inclusion Handicap et agile.ch ont décidé sans équivoque de soutenir financièrement et concrètement l’initiative pour l’inclusion. Mais remontons un peu le temps. Comment l’initiative a-t-elle en fait vu le jour et à qui la doit-on ?
L’association Tatkraft et la Fondation pour la démocratie directe étaient d’avis qu’en Suisse, les droits des personnes en situation de handicap devaient être renforcés. Afin de formuler non pas des exigences au contenu flou, mais au contraire des revendications claires, une initiative populaire s’est rapidement révélée la solution la meilleure. Un groupe de travail a discuté le contenu de l’initiative, de sorte que de larges cercles la soutiennent, notamment parmi les personnes en situation de déficience, tous handicaps confondus. Nous avons rapidement constaté que l’article 8.4 de la Constitution, trop peu contraignant, doit être complété et durci.

Revenons-en au choix du moyen utilisé : pourquoi avoir opté pour une initiative populaire ? Les majorités ne doivent pourtant pas voter sur les droits des minorités…
Un Etat de droit se doit de protéger ses minorités. Or en Suisse vivent quelque 1,8 million de personnes en situation de déficience, tous handicaps confondus. Parmi elles se trouvent beaucoup de personnes âgées. Aussi notre initiative ne vise-telle pas à protéger une minorité, mais à permettre à toute la population de mieux vivre ensemble. N’oublions pas par exemple l’aspect de l’absence de barrières pour les seniors qui utilisent un déambulateur comme pour les familles qui se déplacent avec une poussette. Nous aspirons à une société plus inclusive qui apporte quelque chose à tous ses membres et aucun instrument n’est plus adéquat qu’une initiative pour transformer la société. L’expérience nous l’a montré : une initiative, ainsi que les discussions et les contre-propositions qu’elle suscite, ne sont pas sans exercer une certaine pression qui incite le monde politique à agir. La Loi sur l’égalité des personnes handicapées ne constitue-t-elle pas à cet égard un exemple convaincant ?

Une association pour soutenir l’initiative s’est déjà formée…
Oui, l’association de soutien à l’initiative a été créée le 9 mars. Son comité se compose de membres représentant agile.ch, Amnesty International Suisse, la Fondation pour la démocratie directe, Tatkraft, ainsi que du professeur de droit bâlois Markus Schäfer. Pour ma part, j’y représente l’association faîtière Inclusion Handicap. Le comité est en quelque sorte le poste de pilotage de l’initiative. Jusqu’au 27 avril, jour du démarrage de la campagne, nous avons adopté une solution transitoire consistant à collaborer avec une organisation. Désormais, nous nous sommes dotés d’une direction chargée de tout orchestrer durant les prochains dix-huit mois, délai pour récolter les signatures requises.

Revenons maintenant au coeur même de l’initiative : quels changements son adoption devrait-elle exactement apporter ?
L’acceptation de l’initiative débouche sur une modification de la Constitution, qui implique des changements de loi. Les cantons seraient donc directement amenés à adapter leur législation, ou à la formuler de telle sorte que les personnes concernées par exemple puissent s’attendre à un plus grand soutien lors du libre choix de leur résidence. Actuellement, ils n’en bénéficient que s’ils vivent en institution, ce que nous ne trouvons pas juste. Les personnes en situation de déficience doivent pouvoir être mobiles autant que tout autre et libres d’élire domicile sans problème dans un autre canton. Par ailleurs, l’obtention d’une contribution d’assistance devrait être soumise à moins de conditions que jusqu’ici.

Qu’entendez-vous par-là. Pourriez-vous donner un exemple ?
Si une personne devient malvoyante après 65 ans, certaines prestations ne lui sont pas payées, cette déficience étant liée à son âge. En revanche, si son handicap était survenu avant l’âge de la retraite, elle aurait pu prétendre à un soutien financier plus important. Cette manière de procéder n’est pas logique. Nous voulons que toutes les personnes concernées puissent bénéficier d’une aide. Autre exemple : une personne tributaire d’une interprétation en langue des signes a droit à dix heures d’interprétation par mois, ce qui, de fait, empêche cette personne à accéder à un poste à responsabilité. Dix heures d’interprétation ne sont simplement pas suffisantes. Cela amène les personnes concernées sur une voie de garage où elles exercent de petits emplois, dans l’isolement général.

Y a-t-il des créneaux dans lesquels la Suisse peut aussi se montrer satisfaite en matière d’égalité des chances pour les personnes en situation de handicap ?
En règle générale, la Suisse dispose d’un bon système d’assurances sociales, qui fonctionne bien et prend correctement en charge les personnes atteintes d’une infirmité congénitale. En cas d’accident durant leur vie active, les travailleurs peuvent également compter sur une allocation pour perte de gain, ce qui n’est de loin pas le cas dans tous les pays. Nous observons cependant que l’application de ce droit devient toujours plus rigide. Récemment, la Suisse a accusé un certain retard en matière de droits des personnes handicapées malgré l’influence relativement importante des organisations qui défendent leur cause.

Que peuvent attendre de cette initiative les personnes en situation de handicap visuel ?
La plupart des formulaires ne sont pas sans barrières, de sorte qu’une personne concernée ne peut les remplir sans assistance. Dans ce cas, nous souhaitons des améliorations significatives en termes de participation politique, grâce au vote électronique ou aux modèles de vote tactiles par exemple. Nous permettons également au grand public de prendre davantage conscience des défis que sont appelées à relever au quotidien les personnes en situation de handicap visuel.

L’initiative s’adresse autant à des personnes en situation de handicap cognitif que physique. Qu’est-ce que cela implique ?
En présence de situations de handicap cognitif, il faut distinguer s’il s’agit ou non d’une personne soumise à une curatelle de portée générale. Dans la plupart des situations, ce n’est pas le cas. Ces personnes sont parfaitement capables de se forger une opinion, même sur des questions d’ordre politique. Le fait d’avoir besoin d’un soutien pour se faire un avis n’empêche nullement à quiconque d’exercer ses droits politiques. Un mot clé est ici la langue facile, partie intégrante de l’accessibilité. Rien ne justifie que des personnes en situation de handicap cognitif ne puissent se porter candidates à une fonction politique par exemple.

Début mars, le Conseil fédéral a annoncé son intention d’éliminer les obstacles pour les personnes handicapées. Il envisage une révision de la Loi sur l’égalité des personnes handicapées d’ici à la fin 2023. Entend-il ainsi tuer dans l’oeuf l’initiative ?
Positivement parlant, je dirais que la pression exercée par la Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées (CDPH) et par notre initiative a déjà porté ses fruits. Nous saluons le fait que davantage de choses bougent par rapport aux années précédentes. Il est juste que désormais, les prestataires privés soient également tenus de proposer une offre accessible à tous. Toutefois, l’intervention du Conseil fédéral ne va pas aussi loin que nous le souhaiterions. La question du libre choix de résidence en est par exemple totalement absente.

Que devrait-il se passer pour que l’initiative soit retirée ?
Actuellement, nous ne pouvons nous hasarder à aucun pronostic. D’ici la fin de l’année, le Conseil fédéral fera une proposition, discutée ensuite par le parlement. Peut-être débouchera-t-elle sur une contre-proposition qui, sait-on jamais, pourrait contenir nos revendications.

Pensez-vous que le peuple est favorable à l’initiative et qu’il la comprend ?
Avec notre initiative, nous abordons un thème sensible : qu’est-ce qui suscite des craintes ? Qu’est-ce qui ne fonctionne pas ? Les exemples que nous avançons sont convaincants. L’expérience nous a montré que les êtres humains sont très ouverts. Par conséquent, je pense que notre initiative a de bonnes chances d’aboutir, même si nous sommes bien conscients du fait que moins d’une initiative sur dix est acceptée.

Si tout se passe comme prévu, à quel moment – au plus tôt et au plus tard- la Constitution sera-telle modifiée ?
Nous déposerons l’initiative auprès de la Chancellerie fédérale en automne 2024, après quoi le Conseil fédéral prendra position et rédigera son message. Cette procédure s’étend environ sur un an. Ensuite, l’objet sera soumis aux commissions concernées, puis au parlement. Des contre-propositions seront peut-être formulées. J’estime que cette initiative sera votée dans quatre à six ans.

Revenons maintenant à la récolte des signatures. Comment est-elle organisée ?
La récolte de la moitié des signatures incombe aux organisations de personnes en situation de handicap, l’autre à des organisations alliées à notre cause, comme par exemple la Fondation pour la démocratie directe, Amnesty International, des organisations caritatives, de soutien aux seniors, du domaine de la santé, ainsi que des cercles paroissiaux. Nous pouvons compter sur le soutien de nombreuses personnes motivées, concernées directement ou indirectement par une déficience. L’idée consiste à réaliser la récolte des signatures dans la rue en tandems composés chacun d’une personne en situation de déficience, et d’une autre qui n’est pas en situation de handicap. Ainsi, nous soulignons notre crédo selon lequel il ne s’agit pas de protéger des minorités, mais bien d’un phénomène qui touche toute la société : l’inclusion, qui nous concerne tous.


En tant que membre d’Inclusion Handicap, l’UCBA apporte-t-elle aussi un soutien idéel et matériel à l’initiative pour l’inclusion. Une feuille de signatures est jointe au présent numéro de tactuel. Nous vous encourageons vivement à la retourner remplie. En effet, chaque signature compte ! D’autres feuilles de signatures peuvent être téléchargées sous : https://www.initiative-inclusion.ch/ Les collectes de rue ne requièrent pas d’autorisation, pour autant qu’elles soient mobiles, c’est-à-dire effectuées hors d’un stand fixe.