La photo montre, sur une table, un chablon et un CD.

Bild: Blinden- und Sehbehindertenverein Westfalen e.V.

Comment les personnes aveugles, malvoyantes et atteintes de surdicécité peuvent-elles participer au processus politique des votations ? Actuellement, la plupart des personnes concernées souhaitant exercer leurs droits politiques, notamment de vote, doivent recourir à l’aide de tiers. Le vote électronique permettrait un rapprochement vers des méthodes électorales égalitaires pour tous. Or, le Conseil fédéral vient de renvoyer l’introduction du vote électronique aux calendes grecques.

Par Andrea Eschbach, responsable RP/communication Suisse alémanique UCBA 

Les personnes aveugles, malvoyantes et atteintes de surdicécité sont tributaires d’autrui pour exercer leurs droits politiques. En Suisse, elles ont la possibilité de solliciter soit l’aide d’une personne chargée d’une fonction publique, soit celle d’une personne de confiance, pour remplir, au bureau de vote ou préalablement, leur liste électorale ou leur bulletin de vote. Toutefois, ces possibilités ne respectent pas suffisamment le secret des urnes. Elles sont donc contraires à la Convention de l’ONU relative aux droits des personnes handicapées (CDPH), qui exige que tous les pays européens garantissent la jouissance des droits politiques et la possibilité de les exercer sur la base de l’égalité avec les autres. Or, en Suisse, la procédure électorale la plus répandue – qui consiste à inscrire de façon manuscrite son choix sur un bulletin papier – exclut de ce droit politique fondamental les quelque 325‘000 personnes aveugles ou malvoyantes du pays.

Le matériel de vote numérisé constitue, en Suisse, une étape vers une procédure électorale sans barrières. Jusqu’ici, la Bibliothèque suisse pour personnes aveugles, malvoyantes et empêchées de lire, SBS, sise à Zurich, transforme le matériel de vote fédéral et cantonal en documents numérisés pour le public alémanique. En Suisse romande, ce sont la Bibliothèque Braille Romande et livre parlé BBR à Genève (pour les votations fédérales et Genève) et la Bibliothèque sonore romande BSR (pour d’autres cantons romands). Les documents sont disponibles sur CD sous la forme de fichiers audio en format MP3 ou Daisy. La procédure est simple : les cantons font parvenir les textes soumis au vote à la SBS, la BBR ou la BSR, qui les enregistrent. « Généralement, les clients aveugles, malvoyants et empêchés de lire reçoivent le matériel de vote audio en même temps que la brochure imprimée envoyée par la chancellerie d’état concernée », explique Roswitha Borer Amoroso, directrice du service marketing de la SBS. Certains cantons proposent également ce matériel audio en téléchargement sur leur propre site. Actuellement, la SBS produit du matériel de vote sous la forme de CD audio pour 17 cantons alémaniques : AG, BL, BS, BE (en allemand), FR (en allemand), GL, GR (en allemand, en italien et en romanche), LU, NW, OW, SH, SO, SG, TG, UR, ZG et ZH. La BSR enregistre en français le matériel de vote pour les cantons de Vaud, Fribourg, Berne, la Ville de Bienne et la BBR pour Genève. Les enregistrements sont aussi disponibles en téléchargement et écoute en ligne sur le site des deux bibliothèques romandes. Huit communes proposent également ce service : Bienne, Coire, Goldach, St-Gall, Weggis, Wil SG, Winterthour et Zurich. Toutefois, en cas d’élections communales, les personnes aveugles et malvoyantes en sont à nouveau pour leurs frais, aucun document y relatif n’étant conçu à leur intention.

Une solution de matériel électoral pour tous pourrait être simple : grâce à un vote électronique sans barrières, les personnes aveugles et malvoyantes seraient à même d’exercer leurs droits politiques en jouissant d’une plus grande Autonomie. L’Estonie donne l’exemple. Depuis 2005, les députés y sont élus via internet et, depuis 2011, grâce à un téléphone mobile. En Suisse, depuis 2016, les habitants handicapés de Bâle-Ville peuvent élire leurs représentants par voie électronique. Sont autorisés à recourir à ce procédé les ayants droit de vote au bénéfice d’une rente AI ou d’une allocation pour impotent (API), ainsi que les personnes en mesure d’attester, par un certificat médical, ne pas pouvoir voter de façon conventionnelle sans l’aide d’un tiers. Le vote électronique requiert une inscription préalable unique. Une fois enregistrées, les personnes concernées reçoivent par la suite automatiquement aussi, lors de chaque votation, les documents leur permettant de procéder au vote électronique. Le suffrage peut être donné électroniquement grâce au dialogue entre une connexion codée et un serveur certifié, procédé qui garantit la confidentialité du vote.

Toutefois, le vote électronique à l’échelle fédérale vient d’être écarté : après un flot de critiques, la Confédération a en effet décidé, le 26 juin, de suspendre pour l’instant le vote électronique en tant que procédé de vote ordinaire, au même titre que le vote par les urnes ou par correspondance. La proposition aurait pourtant simplifié la procédure de consultation pour les cantons et satisfait aux principales exigences. Les cantons auraient conservé la compétence de délivrer l’autorisation du vote électronique. La période probatoire est appelée à se poursuivre. Ces dernières années, pas moins de 15 cantons avaient autorisé une partie des citoyens ayant le droit de vote – notamment les Suisses de l’étranger – à exprimer leur volonté par voie électronique. Toutefois, des écueils sont apparus durant la phase pilote. Ils ne sont pas d’ordre politique, mais technique. En juin, le canton de Genève a mis fin à l’exploitation de son système, également utilisé par les cantons de Berne, d’Argovie et de Lucerne. Quant à la Poste, elle abandonne également son système de vote électronique, misant tout sur un procédé nouveau, qui devrait être introduit peu à peu en 2020 seulement. Mi-août, la Chancellerie fédérale veut décider si ce dernier pourra déjà être introduit pour les élections fédérales d’octobre 2019. Jonas Pauchard, lui-même aveugle, s’engage en faveur du vote électronique : « Le vote électronique me permettrait pour la première fois, en tant que personne aveugle, de voter en toute autonomie, sans l’aide d’un voyant. » Etant donné que la Suisse – contrairement à l’Allemagne – ne propose pas de modèle de vote tactile, il est grand temps de mettre au point des systèmes sans barrières tels que le vote électronique. » Gerd Bingemann, responsable de la défense des intérêts à l’UCBA, renchérit en précisant que lors d’un vote numérisé, la plateforme et le processus d’enregistrement doivent garantir une sécurité totale par rapport à un accès abusif.

Actuellement, un modèle de vote tactile existe dans 14 pays – mais pas en Suisse. L’Allemagne a été le premier pays à introduire ce modèle lors des élections du Bundestag en 1980, à Marbourg. Ce n’est que depuis 2002 que les personnes aveugles et malvoyantes bénéficient de cette possibilité à l’échelle nationale. Les modèles de vote tactile sont envoyés aux personnes concernées par la fédération allemande des Aveugles et des Malvoyants (DBSV). Après avoir placé le chablon écrit en braille sur la liste électorale, il leur suffit d’indiquer leur choix par une croix à l’endroit perforé souhaité. Une marque placée au même endroit sur le modèle et sur le bulletin de vote leur permet de placer le chablon correctement. « Toutefois, aujourd’hui encore, les personnes aveugles et malvoyantes ne peuvent souvent pas recourir au modèle de vote tactile à l’échelon communal », précise Torsten Resa, membre de la DBSV.

En Autriche aussi, pour des élections majeures, les documents sont préparés de manière à permettre aux personnes aveugles et malvoyantes d’y prendre part. La fédération autrichienne des aveugles et malvoyants (BSVÖ) participe à ce processus. Lors des élections des députés de l’Union européenne, par exemple, le ministère autrichien de l’intérieur a autorisé la publication préalable du matériel d’information et de vote en braille et sur CD, en format Daisy. De plus, des modèles tactiles de vote et d’élection ont été conçus et mis à la disposition des intéressés dans les bureaux de vote. « Théoriquement, les assesseurs des bureaux de vote ont reçu les instructions nécessaires », explique Iris Gassenbauer, du secrétariat des relations publiques auprès de la BSVÖ. En outre, il est possible de voter par correspondance. Cela permet de renvoyer ses bulletins de vote, dûment remplis chez soi. Lorsque cela se justifie, une commission électorale itinérante, appelée aussi « instance électorale particulière » se rend gratuitement, sur demande, au domicile de la personne ayant le droit de vote.

Que l’on opte pour le vote électronique ou le modèle de vote tactile, ces méthodes alternatives susceptibles d’améliorer l’accessibilité au vote, contribueraient grandement à la mise en œuvre de la CDPH.