Daniele Corciulo livre son expérience du premier jeu sans barrières

Depuis sa naissance, Daniele Corciulo a une acuité visuelle d’à peine 1,5. Il parvient donc à distinguer les couleurs, les ombres et les contours. Ayant grandi parmi les voyants, il éprouve, comme ses camarades, un vif intérêt pour les jeux vidéo. Mais jusqu’à présent, il lui était presque impossible d’y jouer seul. Depuis l’apparition de la réalité virtuelle, le milieu des jeux vidéo est en effervescence et les jeux vidéo sans barrières deviennent soudain possibles. Quels jeux sont-ils sans barrières et que réserve l’avenir dans ce secteur ? tactuel a cherché à le savoir.

Par Nina Hug, rédactrice tactuel version germanophone

tactuel : Daniele Corciulo (DC), vous êtes un consultant en accessibilité doublé d’un joueur passionné. Quel est votre jeu préféré ?

Daniele Corciulo : L’été dernier est sorti « The Last of Us Part II ». La première fois que je m’y suis essayé, j’étais trop content ! C’est le premier et unique jeu auquel j’arrive à jouer seul. Il est excellent et complexe à souhait. Pendant deux semaines, il a monopolisé toutes mes soirées. D’ailleurs, mon pouce m’a encore fait mal des mois après ! Heureusement que ma partenaire est cool ! En principe, nous donnons congé à nos téléphones mobiles à vingt heures et la soirée est à nous ! Mais là, comment ne pas faire d’exception ? !

tactuel : En quoi ce jeu est-il si particulier ?

DC : « The Last of Us Part II » a été proclamé jeu le plus accessible de tous les temps, également pour les personnes handicapées. Il a été développé avec le concours d’un aveugle qui dispose encore de 3 à 4 d’acuité, alors que la mienne est de 1,5. J’ai donc d’abord été sceptique. En effet, je me suis si souvent réjoui à la perspective d’un nouveau jeu prétendu sans barrières pour être tellement déçu ensuite. Mon enthousiasme a donc été d’autant plus grand quand j’ai découvert « The Last of Us Part II ». Pendant la partie, des signaux audio m’indiquent la direction à suivre, de même que lorsque je dois grimper, me baisser et interagir avec des objets. Je me défais de mes adversaires grâce à la détection de cibles automatique. Ainsi, je peux me mesurer sur un pied d’égalité avec les autres joueurs qui ne sont pas en situation de handicap et nous vivons tous la même aventure. Que je voie ou non n’a aucune importance – Pour une fois, j’ai moi aussi voix au chapitre.

tactuel : En quoi « The Last of Us Part II » change-t-il les choses pour vous ?

DC : Quel sentiment indescriptible que de pouvoir déterminer moi-même quand je joue et combien de temps, étant donné que je n’ai besoin de personne pour me guider à travers le jeu et ses menus. Je fais même partie d’une petite communauté de joueurs avec laquelle nous nous sommes livrés, juste pour rigoler, à une course de « Mario Kart ». Il est clair que je n’ai aucune chance. Mais l’essentiel n’est-il pas de participer ? Tout comme à l’époque, lorsqu’en vacances en Italie, j’arpentais avec mon cousin les salons de jeux, essayant toutes les machines. Il en actionnait la manette, moi les boutons. J’adore par exemple le flipper – dont je perçois les vibrations. Là encore, mes chances de gagner contre un adversaire voyant sont nulles. Il s’agit ni plus ni moins de faire partie du groupe, un sentiment d’appartenance que j’ai vécu pour la première fois devant une console.

tactuel : A quelles possibilités les développeurs de « The Last of Us Part II » ont-ils recouru pour en faire un jeu sans barrières ?

DC : Plus de 60 paramètres permettent une utilisation pour tous. Ainsi, le joueur peut choisir entre plusieurs modes de navigation et modifier l’ordre des fonctionnalités des boutons. De plus, les couleurs, les contrastes et toute la surface utilisateur peuvent être personnalisés. Pour moi, ce sont surtout les indications audio qui importent. Elles me renseignent sur les actions du jeu. Une simple pression sur la manette gauche du contrôleur m’ouvre les options de navigation et voilà que mes personnages sont automatiquement tournés dans la bonne direction. Il me suffit de suivre la voie indiquée jusqu’au prochain signal audio me signifiant de me réorienter. Une petite pression sur le contrôleur et mes personnages pivotent dans la nouvelle direction à emprunter. Un bip aigu m’annonce lorsque je suis appelé à interagir avec mon environnement. Ainsi, au fil du jeu, je me familiarise avec toute une kyrielle de signaux audio très utiles pour une personne aveugle.

tactuel : Pour quelles raisons avez-vous jusqu’ici rencontré des barrières dans les autres jeux ?

DC : Certains jeux sont probablement sans barrières pour bien des joueurs, mais pas pour tous. Lorsque je fais un jeu avec des sous-titres, il est sans barrières pour les personnes en situation de surdité, mais pas pour moi. De même, lorsqu’il est possible d’en agrandir textes et images, le jeu est sans barrières pour les personnes malvoyantes, mais pas pour moi. Lorsque, comme moi, on n’a plus qu’une acuité visuelle d’1,5, on peut jouer à « Mario Kart » ou à « Resident Evil 6 ». La navigation étant aussi vocale, je peux commencer à jouer, mais ça s’arrête là. Pour d’autres jeux, j’en perçois bien certains éléments, mais ils restent techniquement inaccessibles. Dans le jeu vidéo Spider-Man, le personnage est si mal positionné que l’on ne parvient pas à accéder aux objets à ramasser.

tactuel : Où une personne aveugle ou malvoyante peut-elle s’adresser pour savoir où trouver des jeux vidéo adaptés à ses besoins et desquels il s’agit ?

DC : Il existe sur internet quelques forums en anglais à ce sujet. Toutefois, la loi américaine définissant la cécité à partir d’une acuité visuelle de 3-4, cela change passablement la notion d’accessibilité. Steve Sailor est un expert aveugle bien connu pour ses évaluations de jeux vidéo. Toutefois, comme il voit mieux que moi, le fait qu’il y accède ne signifie pas que moi aussi. Lorsque je teste, à des fins professionnelles, l’accessibilité d’un site, je ne me fonde pas sur ma propre vision, mais sur des normes internationales. Actuellement, elles n’ont pas encore été établies en matière de jeux vidéo.

tactuel : A quelles évolutions vous attendez-vous ?

DC : Il y a définitivement du changement dans l’air. Cependant, une conception sans barrières ne peut qu’être le fruit de connaissances et d’une volonté préalables. Lorsque l’idée même d’accessibilité fait partie d’un projet dès sa naissance, le coût supplémentaire engendré est de l’ordre de 10 à 20 %. Cependant, il faut savoir que les personnes voyantes disent apprécier elles aussi les fonctionnalités sans barrières. Bien des choses sont faisables grâce à une sensibilisation adéquate des concepteurs. Le nouveau contrôleur de la Playstation 5 me ravit. Des vibrations me permettent de savoir sur quelle texture on évolue dans le jeu ou si l’on touche du caoutchouc ou du verre. C’est top ! Pourvu que ces fonctionnalités soient intégrées à bon escient dans quelques jeux super sympa ! De plus, dans la Playstation 5, les menus sont accessibles à l’aide d’une synthèse vocale. Il ne manque plus que les jeux ! Par contre, une fois l’application démarrée, c’est le silence radio !

tactuel : Que rétorquez-vous à ceux qui prétendent que les jeux vidéo ne sont rien pour les aveugles ?

DC : Que c’est faux. Bien au contraire, les plus jeunes d’entre eux veulent absolument être de la partie ! La plupart des jeux étant en anglais, non seulement ça les motive pour apprendre cette langue, mais c’est un excellent entraînement à l’agilité des doigts, aux devinettes et à la logique. Joués avec modération, les jeux vidéo ne sont donc de loin pas des machines infernales.