Gestion psychologiqued’une déficience visuelle
Perspectives venant de la psychothérapie
par Michel Bossart, rédaktion tactuel

L’acceptation n’évolue pas en ligne droite. Elle se déroule en vagues : déni, deuil, orientation, confiance – et revers. Stefan Rehmann, psychothérapeute et lui-même déficient visuel, parle d’un processus dynamique. Il est primordial d’éviter la résignation et de renforcer l’auto-efficacité.
Le chemin vers l’acceptation n’est pas une ligne droite. Il évolue en vagues et en boucles au cours desquelles déni, deuil, orientation et confiance se relayent. « Un traumatisme n’est jamais maîtrisé définitivement », explique le psychologue Stefan Rehmann, lui-même malvoyant. La littérature spécialisée en psychologie parle d’un processus dynamique et de différentes phases de l’acceptation d’une déficience.
Le processus part souvent d’un traumatisme. Suivant l’évolution, la survenance d’une cécité ou d’un handicap visuel grave frappe les personnes concernées en pleine vie. Le handicap peut arriver de manière subite et inattendue, par exemple suite à un accident, ou alors résulter d’une maladie dont la progression est dégénérative et sans appel. Dans les deux cas, la vie menée jusqu’ici en est profondément ébranlée. Au traumatisme succède la phase de choc et de déni. Une fois le premier choc passé, les mécanismes de déni se mettent en place et font que les personnes concernées ne veulent ou ne peuvent pas admettre la réalité de la perte totale ou partielle de la vue. Nombreux sont celles et ceux qui se raccrochent à l’idée que leur limitation n’est que passagère ou espèrent que des solutions médicales permettront de renverser la situation. Lorsque la prise de conscience de l’étendue de la limitation est inéluctable, le deuil et le repli surviennent. Colère, peur, détresse ou amertume sont des réactions fréquentes. Beaucoup de personnes se retirent de la vie sociale et se coupent émotionnellement du monde. Ce retrait peut devenir un isolement permanent en l’absence de soutien. Une réaction particulièrement critique est la dépression. L’esprit se fixe alors presque exclusivement sur ce qui est perdu, sur les capacités disparues. La confiance en soi dégringole et le syndrome dépressif risque de s’installer pour longtemps, accompagné de sensations de désespoir et de vide intérieur. Par la suite, une réorientation peut toutefois avoir lieu. La réflexion et la réorganisation des anciennes raisons de vivre permettent de se réinventer. Les personnes concernées commencent à entrevoir les possibilités qui leur restent et à développer de nouvelles formes d’existence. Cette étape marque le passage de la perspective centrée uniquement sur la perte vers une timide ouverture à de nouvelles voies.
En même temps que la gestion et l’activation revient la capacité d’agir. Les personnes concernées retrouvent leur énergie, développent de nouvelles activités et retrouvent le goût de vivre. Il n’est pas rare que cela entraîne une phase d’hyperactivité, qui traduit un surplus d’enthousiasme ou une défense face à des sentiments encore peu solides. Parfois, elle correspond à une tentative de s’adapter et de s’insérer dans un environnement encore fortement stigmatisant.
À la fin vient la phase de l’acceptation et du respect de soi-même. L’être humain s’accepte avec ses capacités, les positives autant que celles qui sont limitées. Il a retrouvé plus d’autonomie et peut façonner sa vie en y apportant un nouvel équilibre. Toutefois, les revers restent possibles là aussi : des crises ou d’autres expériences de perte peuvent ébranler un équilibre fragile. Malgré tout, cette phase constitue une base sur laquelle la résilience peut grandir et une vie pleine de sens peut se réaliser.
La stigmatisation affaiblit la résilience
La résilience est la capacité des individus et des communautés de maîtriser avec succès des crises ou revers et de s’en remettre, voire souvent d’en sortir grandis. Elle dépend de nombreux facteurs : la personnalité, les expériences antérieures, les réseaux sociaux et les ressources matérielles. Stefan Rehmann explique : « Les personnes dont la profession ou les loisirs sont très visuels peinent en général plus à gérer une déficience visuelle. » D’autres se tournent plus vite vers des stratégies alternatives. Des relations solides, des expériences quotidiennes positives et la possibilité de continuer à cultiver ses intérêts de toujours sont essentielles. Il développe : « Il ne s’agit pas seulement de « nouvelles » activités pour personnes handicapées de la vue telles que l’écoute de livres audio ou la pratique commune de tandem. Il serait tout aussi essentiel de retourner voir un match de hockey sur glace ou de partir à Venise, donc de faire des choses qui ont toujours été importantes pour la personne concernée. Ces personnes devraient alors agir de manière aussi autonome que possible, même si elles ont besoin d’être accompagnées. D’ailleurs, les proches, amis et connaissances font partie du processus, puisqu’ils doivent également tous apprendre à accepter la perte et à redéfinir leur rôle.
À cela s’ajoute la confrontation avec la stigmatisation. Les personnes avec une déficience visuelle sont souvent réduites à leurs déficits. « La réduction à ce qui manque occulte la perception de ce qui est désormais possible », dit Stefan Rehmann. Selon une approche émancipatoire, les personnes concernées ne sont pas des personnes voyantes avec un déficit, mais des individus vivant selon leurs propres normes et formes culturelles.
Dans le cas de la résilience, l’évolution d’une déficience visuelle joue un rôle important. Une personne qui perd la vue d’un coup est confrontée plus directement à une réalité inaltérable. Lorsque la perte s’inscrit dans un lent processus, un grand nombre de personnes consacrent énormément d’énergie à compenser leur vision restante. Stefan Rehmann décrit ce processus comme particulièrement lourd.
Les émotions déterminent le processus
Tous ces cycles jusqu’à l’acceptation s’accompagnent d’intenses émotions. « La peur peut être engendrée par un quotidien menaçant, la honte par le dénigrement vécu ou imaginé dans le contexte social, ou le deuil par la perte d’habitudes familières », dit Stefan Rehmann. De nombreuses personnes concernées essaient dans un premier temps de cacher leur déficience pour ne pas se faire remarquer. « C’est un tour de force très énergivore », estime l’expert. Lorsque la déficience devient manifeste, il y a souvent retrait social et/ou une sorte de détresse. Rehmann continue : « En même temps peuvent se mettre en place les premières initiatives pour vaincre l’obstacle : de nouvelles routines s’installent, les premiers moyens auxiliaires sont testés et on cherche le contact avec les spécialistes. »
Ensuite, tout dépend de l’aboutissement de ces tentatives à une acceptation ou à une résignation. « La résignation signifie le retrait complet, une perte d’énergie et une spirale dépressive vers le bas », dit Stefan Rehmann. L’acceptation par contre ouvre l’esprit aux possibilités créatives. « Les personnes décidées à surmonter les difficultés sont récompensées à mesure qu’elles avancent. Elles améliorent leur confiance en soi et trouvent du soutien et du bien-être. »
Une des clés est l’expérience de l’auto-efficacité. « Lorsque l’on sent qu’on est capable d’agir et d’exercer une influence, même dans des conditions modifiées, on gagne en stabilité », Stefan Rehmann en est convaincu. L’auto-efficacité ne signifie néanmoins pas que l’on doit tout réussir seul, mais que l’on doit aussi pouvoir accepter de l’aide sans pour autant se sentir déresponsabilisé. Il faut ici un entourage qui soutient la personne. La psychologue Eva-Maria Glofke-Schulz parle dans son livre « Löwin im Dschungel » (ndt : en allemand uniquement) d’une approche qui assure de la stabilité, mais qui peut également faire évoluer la personnalité et la société. Pour elle, les personnes concernées sont des sujets actifs, à la recherche d’un sens et d’un développement spirituel et contribuant parallèlement au changement des valeurs culturelles. Stefan Rehmann résume : « L’auto-efficacité est liée aux contacts positifs avec les personnes dont je dépends certes en partie, mais à qui je peux aussi apporter quelque chose. » Il s’agit donc de se percevoir comme une valeur et de faire bénéficier son entourage de cette valeur.

Photo: SZBLIND

