L’enseignement pour les élèves aveugles et malvoyants revêt aujourd’hui plusieurs formes

par Ann-Katrin Gässlein

Longtemps a prédominé l’idée selon laquelle les enfants aveugles et malvoyants étaient le mieux pris en charge dans une école spécialisée, voire dans un internat.
Au cours des 25 dernières années, cette attitude a fondamentalement changé. Aujourd’hui, l’enseignement spécialisé revêt plusieurs formes, toutes considérées
sur un pied d’égalité.

Les aveugles et malvoyants sont dépourvus – entièrement ou partiellement – d’un sens essentiel pour percevoir, agir et communiquer. L’accomplissement des tâches quotidiennes constitue un défi spécifique. «S’ils veulent prendre part à la vie sociale des voyants, ils doivent s’adapter à leurs us et coutumes», écrit Marco Knecht, spécialiste en pédagogie curative auprès du Sonnenberg, centre de consultation et école spécialisée pour enfants et adolescents handicapés de la vue, à Baar. Ces objectifs «ne peuvent être atteints qu’en y consacrant beaucoup de travail et de temps, de persévérance mêlée à un brin d’ambition». Par ailleurs, le potentiel visuel d’une personne malvoyante doit être utilisé de façon ciblée. Il s’agit en même temps de former les autres sens, quelle que soit la forme de scolarité ou d’enseignement choisie. Comment l’enseignement spécialisé s’est-il adapté à la situation au cours des décennies passées?

L’internat ou l’expérience des limites
Jusqu’au milieu du vingtième siècle, l’internat s’imposait comme la seule forme de scolarisation. Non seulement l’enseignement spécialisé assuré, mais aussi l’internat en tant que structure, semblaient, pédagogiquement parlant, la forme la mieux adaptée: l’internat était censé leur apporter «indépendance et savoir-faire dans la manière de mener les choses et de se comporter avec les gens», écrit Herbert Garbe en 1959 dans sa dissertation consacrée à la pédagogie pour les aveugles. Dans son introduction au rapport annuel 2011 de l’UCBA, André Assimacopoulos décrit très explicitement cette expérience commune d’internat qui a marqué des générations d’élèves comme: «une place d’amour-haine propre à tous lieux où nous nous sommes développés, où nous avons construit nos compétences, mais aussi où nous avons été confrontés à nos limites, voire à nos échecs. Pour les parents d’élèves handicapés
de la vue, c’est une autre histoire. Ce couple amour-haine est doublé du binôme reconnaissance- jalousie, voire suspicion. L’enfant a-t-il pu apprendre à la mesure de son envie, voire audelà? » Les enfants et adolescents handicapés de la vue, même lorsqu’ils sont atteints d’un handicap mental léger, sont aujourd’hui couramment intégrés dans une classe ordinaire. Plusieurs facteurs ont contribué à cette évolution: tout d’abord, l’émergence, dans les années 70, des premiers écrans et télécopieurs, suivie par celle de moyens auxiliaires électroniques (tels que calculatrices de poche parlantes, caméras projetant ce qui est écrit sur le tableau noir, appareils de prise de notes numériques, et bien d’autres), qui a permis aux élèves malvoyants et aveugles de prendre part à l’enseignement ordinaire. Puis, dans les années 90, sous la pression des associations de parents, le rôle des écoles spécialisées a été redéfini. Aujourd’hui, face à la volonté de faire passer les besoins de l’enfant avant toute autre considération, la scolarisation spécialisée cohabite avec l’intégration des élèves dans l’école ordinaire. Ainsi, le rôle d’enseignant s’est doublé de celui de coach ou de médiateur de l’intégration.

Diversité de la pédagogie spécialisée
En Suisse, la pédagogie spécialisée pour handicapés de la vue est aujourd’hui axée sur les besoins individuels des élèves aveugles, malvoyants et atteints d’un polyhandicap, quel que soit leur âge. L’éducation précoce spécialisée, qui prend en charge les enfants de la naissance jusque dans les premières années de la scolarité, est aujourd’hui largement répandue. Dès que les parents ou le médecin constatent certaines anomalies dans le développement de l’enfant, des mesures d’évaluation, d’accompagnement et de stimulation sont prises. L’éducation précoce a lieu au domicile de l’enfant, dans son contexte familial. Outre la stimulation précoce de l’enfant, des conseils sont également prodigués aux parents. Comme par le passé, l’école spécialisée non intégrative joue toujours un rôle important. Soit les enfants et adolescents handicapés de la vue y assistent à un enseignement régulier – ils apprennent le programme enseigné dans toute école obligatoire – soit ils y suivent un programme qui tient compte de leur handicap intellectuel ou de leurs difficultés d’apprentissage. Quant à l’internat, il est loin d’avoir terminé son service. Il constitue une possibilité optimale de logement au sein d’une institution de pédagogie spécialisée «lorsque les trajets quotidiens représentent pour l’enfant un fardeau trop lourd ou, qu’à la maison, les parents ne disposent des moyens requis pour s’occuper de l’enfant ou lui prodiguer les soins nécessaires», explique Christian Niederhäuser,
directeur de la Fondation pour enfants et adolescents aveugles ou malvoyants à Zollikofen. Il précise que le fait de vivre dans un environnement sécurisé avec des enfants concernés et du même âge peut énormément stimuler chez l’élève l’apprentissage des règles du comportement en société.
Actuellement cependant, la majorité des enfants visent une scolarisation spécialisée intégrative. Selon ce modèle, l’école spécialisée conseille et accompagne l’élève intégré dans une école obligatoire ordinaire. Si l’enfant est légèrement malvoyant, un simple conseil suffit. Souvent en collaboration avec un ophtalmologue et un opticien, des évaluations en basse vision sont régulièrement effectuées afi n de faire le bilan de l’évolution du handicap visuel de l’élève. Le programme de «conseil et soutien» aide l’élève dans sa vie scolaire quotidienne. L’accent porte tout particulièrement sur son instruction en orientation et mobilité, comme sur ses activités de la vie journalière. Selon la gravité du handicap de la vue ou si la cécité de l’enfant est imminente, le braille lui est également enseigné.

Diffi cultés et facteurs de réussite
L’interaction entre famille, école ordinaire et école spécialisée ne fonctionne pas toujours sans heurts. «L’enseignement spécialisé intégratif repose sur un équilibre précaire», relève Marco Knecht. Pourquoi précaire? Parce que tous les acteurs en présence ne peuvent pas intervenir simultanément avec le même poids. Dans la phase préscolaire comme en cours de scolarité, il s’agit de réajuster sans cesse cet équilibre. Marco Knecht précise: «Pas de place pour les tabous! Même l’abandon de la scolarisation spécialisée intégrative doit demeurer concevable et possible.» Une liste de contrôle permet d’évaluer les facteurs qui stimulent l’intégration d’un enfant handicapé de la vue dans une école ordinaire. Le fait que l’enfant dispose du vocabulaire nécessaire pour pouvoir interagir avec le corps enseignant et les autres enfants est un bagage précieux qui lui permet d’écouter ces derniers et de se faire aider, de suivre les consignes, et d’être largement autonome s’agissant de son hygiène personnelle, son habillement et son alimentation. Pour ce qui est des parents, il est important qu’ils acceptent le handicap de leur enfant et qu’ils ne tentent pas de le minimiser par le biais des mesures de scolarisation intégrative. Ils doivent aussi soupeser les avantages et les inconvénients que présentent les deux formes de scolarisation: en dépit de ses multiples aspects positifs, l’intégration dans une école ordinaire signifi e aussi que l’enseignant principal de l’élève est moins sensibilisé aux diffi cultés inhérentes à ses troubles visuels et que durant la semaine, l’enfant doit suivre en moyenne deux cours supplémentaires spécifi
quement consacrés à son handicap, alors que dans une école spécialisée, l’enseignement tient systématiquement compte de ce dernier. Pour les écoles, l’intégration peut aussi être un
processus stimulant: l’intégration d’un jeune handicapé de la vue dans une classe ordinaire implique toute une équipe, non un seul enseignant. L’expérience a montré qu’une classe hétérogène est mieux à même d’accueillir un enfant handicapé alors que la taille de la classe est secondaire. Enfi n et surtout, la direction comme l’enseignantdoivent manifester de l’intérêt pour la thématique du handicap, ne pas avoir peur d’être trop sollicité et adhérer à ce projet par conviction personnelle.