Inclusion des élèves handicapés de la vue

Par Peter Rodney

L’inclusion d’élèves handicapés (de la vue, notamment) s’articule autour de deux pôles. Le premier est l’idéologie pédagogique – à savoir le désir ou l’utopie qui prône qu’indépendamment de leurs facultés et de leurs difficultés les élèves ont la possibilité et le droit d’apprendre tous ensemble. S’y oppose le pôle de la réalité sociale.

Deux garçons s’amusent sur un engin d’une aire de jeux.

Pour que l’inclusion puisse réussir, toute la classe doit faire preuve d’empathie et d’engagement.
Photo: luxuz, photocase.com

L’idéal consiste à maintenir un juste équilibre entre ces deux pôles. Toutefois, la pratique est bien différente : l’inclusion est amorcée sans tenir compte du contexte social et personnel dans lequel vivent les élèves concernés, ce qui peut avoir pour eux des conséquences dévastatrices. Ils risquent de se sentir totalement dépassés, et, plus grave encore, d’être sujets à une maladie psychique ou à l’exclusion sociale. Quels sont les ingrédients d’une inclusion réussie ? Les questions suivantes s’imposent : Comment la société s’accommode-t-elle de ceux qui sont différents ? Comment chacun parvient-il individuellement à répondre aux exigences qu’elle lui impose ?

Tout dépend essentiellement de son état d’esprit. Ce dernier découle de schémas appris qui nous conditionnent. L’état d’esprit explique les comportements humains et laisse présager des actions futures. Il est également fonctionnel. Grâce à lui, toute nouvelle situation ne nous oblige pas à repenser nos comportements. Notre état d’esprit façonne nos valeurs dans des domaines essentiels de la vie et, partant, notre savoir et notre expérience.

L’état d’esprit se décline en trois aspects : l’élément cognitif – qui détermine notre vision du monde -, l’élément émotionnel – qui influe sur notre considération des valeurs ou convictions, positives ou négatives – et une volonté d’agir – qui dessine le sens de notre action. La composante émotionnelle me paraît la plus importante. Toutefois l’aspect cognitif ne doit pas non plus être sous-estimé : un manque de connaissance peut déboucher sur une simplification de l’interprétation, qui devient par trop positive ou négative. De là à se muer en préjugés ou en stéréotypes, il n’y a qu’un pas.

Fossé entre théorie et pratique

Lors d’un sondage réalisé au Danemark, tous se sont prononcés pour l’égalité des chances entre personnes handicapées et non handicapées. 80% des écoliers interrogés sont d’avis que tous les élèves, handicapés ou non, doivent bénéficier du même traitement. Pourtant, le quotidien témoigne d’une réalité tout autre. Alors que 77 % de personnes sans handicap ont un emploi, ce pourcentage se situe entre 27 % et 67 % pour les personnes handicapées, indépendamment de leur niveau de formation. Par contre, leur degré d’invalidité joue un rôle significatif. Conclusion : peu importe le diplôme obtenu, le taux d’occupation des personnes handicapées est plus faible.

L’état d’esprit fait la différence

Comment l’expliquer ? L’état d’esprit rencontré sur le marché du travail est révélateur : 21 % des personnes interrogées ne souhaitent « plutôt pas » ou « vraiment pas » avoir un collègue handicapé de la vue, alors que 6 % ne souhaitent « plutôt pas » ou « vraiment pas » avoir un collègue atteint d’une paralysie cérébrale.

Dans les écoles, les avis sont encore plus tranchés : 57 % des élèves interrogés ne voudraient pas être assis à côté d’un écolier atteint de paralysie cérébrale, 51 % ne voudraient pas avoir pour voisin un élève aveugle et 70 % trouvent gênant le fait d’être vus en public en compagnie d’un non-voyant. Le ministère danois de l’éducation a certes tenté de modifier ces points de vue par une initiative, dont les effets sont demeurés limités. L’adhésion au point de vue concernant le fait d’être « assis à côté d’un élève handicapé » ou « vu en sa compagnie en public » n’a reculé que de quelques pourcents.

Exigences de l’inclusion pour les élèves concernés

L’on sait aujourd’hui que pour certains handicaps, l’inclusion réussit mieux que pour d’autres. Ainsi, l’inclusion d’un élève en fauteuil roulant se passe mieux que celle d’un enfant autiste. L’on peut donc supposer qu’une inclusion réussie requiert de la part d’un élève certains prérequis personnels et mentaux, notamment :

  • L’aptitude à se lier aux autres, c’est-à-dire à établir avec eux une relation durable, émotionnellement équilibrée ;
  • La capacité à contrôler ses impulsions, soit la maîtrise consciente et volontaire de ses sentiments et de ses émotions ;
  • La faculté de modifier sa perspective, c’est-à-dire de comprendre les motivations, intentions et raisons qui animent les autres et de s’en inspirer ;
  • La capacité, essentielle, à faire face à ses frustrations, à savoir se motiver et poursuivre ses objectifs, ainsi qu’à faire des choix et à les assumer.

Peter Rodney enseigne la psychologie au département de pédagogie spécialisée de la Haute école pédagogique spécialisée danoise de Aarhus.

Ce texte est une version légèrement modifiée de l’article intitulé, en allemand, « Allen voran steht die Einstellung », paru dans la revue spécialisée horus 1/2016. Publié avec l’aimable autorisation de l’auteur.