Interview de Stefanie Becker, directrice de l’Association Alzheimer Suisse

Dr Becker, vous êtes spécialiste pour toute question en lien avec la démence. Pourquoi avoir choisi ce thème ?

Stefanie Becker se tient debout devant une porte vitrée menant à une terrasse.

Photo: Ann-Katrin Gässlein

En tant que gérontologue, j’ai travaillé plusieurs années dans le domaine de la recherche appliquée. Dans ce contexte, je me suis demandé comment les personnes à un stade avancé de leur démence exprimaient leurs émotions. Conclusion : les émotions qu’éprouvent les patients atteints de démence sont bien en lien avec la situation. Lorsqu’une personne se fâche ou devient agressive, ce n’est pas aléatoire, mais toujours explicable. Sa mimique et ses gestes en disent certes long. Encore faut-il savoir les interpréter. Ce constat m’a vraiment passionnée.

Pour pouvoir offrir à ces personnes une bonne qualité de vie, leur entourage devrait-il donc savoir identifier correctement ces émotions et y réagir adéquatement ?

Oui. L’environnement devrait avoir des réactions appropriées et être conçu de sorte à soutenir les patients afin qu’ils puissent gérer le quotidien avec l’autonomie dont ils disposent, au gré de leurs possibilités, à domicile comme dans une structure de soins. Or, l’architecture est une chose, l’environnement social en est une autre.

La démence n’est-elle pas également très éprouvante pour les proches ?

Pour une personne démente, deux à trois autres personnes de son entourage immédiat sont aussi concernées, que ce soit pour s’en occuper ou pour organiser son quotidien. Au départ, en l’absence de tout diagnostic, les proches vivent des moments difficiles. N’étant pas en mesure d’évaluer la situation, ils ne peuvent vraiment comprendre ce qu’elle implique.

Est-ce dû au comportement déconcertant du patient ?

Souvent, les malades disposent de stratégies ingénieuses pour occulter et pallier les défaillances inhérentes à la démence. Ils accusent par exemple les proches d’avoir fait ou omis de faire quelque chose.

Au cours de la maladie, les relations sont constamment mises à mal, notamment lorsque partenaire ou enfant ne sont plus reconnus comme tels. Cela peut devenir très lourd. Les proches doivent apprendre à l‘accepter. Une fois que l’on peut « appeler un chat un chat », à savoir dès que le diagnostic est posé, tout devient souvent moins lourd. Dès que l’on sait de quoi il en retourne, l’on peut s’adapter et aller de l’avant. Malheureusement, les proches ne bénéficient de soutien que bien trop rarement.

Où pourraient-ils en obtenir?

Auprès des groupes d’entraide et des services de conseils téléphoniques de l’Association Alzheimer Suisse et de ses sections cantonales ainsi que grâce à des offres thérapeutiques. L’un des principaux problèmes réside dans le financement de la prise en charge du patient. En Suisse, la prise en charge, pourtant capitale entre ledébut de la maladie et son stade intermédiaire, n’est pas financée. Faisant partie de la sphère privée, elle incombe entièrement aux proches.

Le constat de la démence constitue une étape clé. Comment procède-t-on aujourd’hui, par rapport à autrefois ?

Il y a 30 ans, cette maladie était encore largement méconnue. L’on parlait alors de symptômes de confusion, de psychosyndrome du cerveau. Des tests de la mémoire n’existaient guère. Aujourd’hui, des années lumière nous séparent de cette époque, avec les méthodes de diagnostic par l’image (IRM) ou le dépistage précoce par des méthodes biochimiques extrêmement fines. Pour ce faire, l’on recourt à des biomarqueurs, qui ont du point de vue éthique, comme toute chose, leurs défenseurs et leurs détracteurs. En effet, à partir de quand faut-il se servir de ces marqueurs et informer la personne ? Au reste, qui souhaite savoir trente ans à l’avance qu’un risque de démence l’attend ? Pourtant, le fait de le savoir peut être très utile. Il est alors possible d’adapter son style de vie en conséquence et de minimiser ainsi les risques encourus, ce qui peut retarder le déclenchement de la maladie.

Le fait qu’aucune guérison n’est possible ne rend-il pas le sujet plus délicat encore ?

Aujourd’hui, il n’existe certes ni thérapie ni guérison. En revanche, des traitements sont possibles, d’où l’importance d’un dépistage précoce, lorsque, durant plus de six mois, on a le sentiment que quelque chose cloche. Pour d’autres maladies, l’on n’hésite pas non plus longtemps avant de consulter. Plus la maladie est diagnostiquée tôt, plus il est possible d’en ralentir l’évolution et surtout de préparer l’entourage à la situation. Ce facteur est déterminant pour la qualité de vie !

Et ensuite ?

Que faire lorsque l’on apprend que l’on est atteint de démence ? Lorsqu’un diagnostic révèle, à la fin d’un séjour hospitalier, qu’une personne présente une déficience de la vue et de l’ouïe, elle peut, de retour chez elle, consulter un ergothérapeute, tester des moyens auxiliaires et apprendre à les utiliser. Même lorsqu’une réadaptation complète n’est pas envisageable, la voie à suivre est claire. Ce n’est pas le cas pour une démence : une fois diagnostiquée, elle ne donne pas d’office lieu à un accompagnement standard, ni des patients, ni de leurs proches, souvent livrés à eux-mêmes.

Quels sont les éléments clé d’un accompagnement de qualité ?

Tant les patients que leurs proches doivent pouvoir s’appuyer sur des conseils judicieux : comment soutenir la gestion du quotidien ? Quelles possibilités ont-elles à disposition pour décharger les proches ? Un accompagnement thérapeutique peut aussi se révéler nécessaire. Malgré le soulagement de connaître le diagnostic de démence, celui-ci provoque souvent un choc. Il s’agit alors d’informer : que signifie « vivre avec une démence» ? La plupart des proches ne savent de cette maladie que ce qu’en décrivent les médias, à savoir des scénarios d‘horreur. Souvent, les gens ignorent qu’il est possible de bien vivre avec une démence.

Une bonne transmission et coordination de l’information sont essentielles. En effet, le marché dans ce domaine est toujours plus opaque. Les offres sont nombreuses et il est à peine possible de distinguer les offres crédibles des informations moins fondées. L’Association Alzheimer Suisse diffuse des informations de qualité, également utiles séparément. En effet, il vaut mieux privilégier une information ciblée à une pléthore de renseignements.

Merci de m’avoir accordé cet entretien.

 

Interview réalisée par Ann-Katrin Gässlein